Reportage : j’ai repassé le bac philo

21 Juin

Jeudi dernier, les boutonneux tardifs, fans de Facebook et autres lolitas en mini-shorts en denim et sacs à mains griffés sont passés par l’épreuve mythique de la philo. Dix ans après, l’Indécise karmique tente de repasser l’épreuve.

  • L’Indécise en terminale S

Jeudi matin, 8 heures. J’ai infiltré, incognito, les classes de matheux. Look de rigueur oblige, j’ai viré mes créoles et mon poncho pour enfiler un tailleur bleu marine et des ballerines Repetto. En guise de sac, un cartable d’institutrice en cuir (très tendance) et, pour tout accessoire, une calculatrice géante (vous savez celle qui permet de faire des projections, des intégrales et toutes sortes de choses uniquement compréhensibles par un élève de terminale S, justement). Ce n’est qu’en rejoignant mes petits camarades scientifiques que je me rends compte de ma grossière erreur : aucune binoclarde avec serre-tête vert sapin à l’horizon. Seulement des it-bags, des iPhone, des iPod, des iPad, enfin tout le stock des grands magasins boulevard Haussmann réunis. Conclusion numéro 1 : rien ne ressemble plus à un élève de terminale S qu’un élève de n’importe quelle autre terminale.

Mais revenons à nos moutons. Le sujet posé sur la table, les hostilités commencent. J’ai le choix entre trois disserts :

1. L’art peut-il se passer de règles ? Alors là, je me dis que pour un sujet de matheux, j’ai du bol. L’art ? Ça me connaît. Bien sûr qu’il faut des règles (regardez Léonard de Vinci, il en faisait des calculs avant de pondre un gars les bras en croix). Soudain, un doute m’assaille : oui, mais l’art contemporain, c’est vrai que ça part un peu dans tous les sens, entre les têtes de mort recouvertes de diamants et les embryons de poulains morts exposés… Bon, bien qu’ayant visité la maison de Monet à Giverny (celle où il y a les fameux nénuphars) au moins une dizaine de fois, je me dois de le reconnaître : l’art, c’est pas ma came. (Eh, normal, je suis une matheuse, quand même.)

Second sujet : Dépend-il de nous d’être heureux ? Ah, voilà un sujet qui me plaît. Et auquel j’ai envie de répondre direct : « Mais bien sûr, ma bonne dame ! Aide-toi, le ciel t’aidera ! Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! Vaut mieux un petit chez soi qu’un grand chez les autres… » Enfin, je sens que je tiens un argumentaire de choc, là.

Surtout quand je découvre le troisième sujet : un commentaire d’un extrait du Léviathan de Thomas Hobbes, un mec du XVIe qui a fait l’apologie de la royauté par pur libéralisme et rationalisme. Une sorte d’ancêtre du RPR, quoi. Nan, celui-là, je le sens pas trop.

  • L’Indécise en terminale ES

Alors, là, j’y vais les mains dans les poches. La terminale ES, ça me connaît. Après une incapacité physique à entendre les mathématiques, et une aversion totale pour ma prof de Français, j’ai atterri chez les économes du programme. Ceux qui ne savent pas vraiment pourquoi on leur parle de Durkheim, mais qui sont grave soulagés de ne pas trop se mouiller en matière de choix de carrière. Naturellement, j’enfile mon costume version bac 1999 en Normandie : grand foulard vert pistache en tie and dye, sweat à capuche taille XXL, et jean (un peu) troué. Un bon look baba-grunge-soft de province. Et là, en arrivant devant la masse lookée H&M et Zara, je me rends compte de mon erreur. On me prend pour une surveillante, une assistante sociale, une militante du planning familial et, pire encore, pour une prof de Français ! Vexée, je pense me rattraper sur les sujets. Au moins, ce sera du déjà-vu.

1. Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ? Ohlala, la loose totale ! J’ai dit que j’étais pas en S, moi…

2. Le rôle de l’historien est-il de juger ? Ah, ouais, pas fun fun les éco, cette année. Je passe aussi.

Troisième possibilité : un commentaire sur un extrait de l’Éducation morale de Durkheim. Bon, on sent que les mecs qui ont trouvé les sujets sont dans une mauvaise passe, là. C’était clairement mieux en 1999 (c’est ce que je compte mettre sur ma copie, d’ailleurs). On avait un truc du genre Peut-on se mentir à soi-même ? Génial ! La psychanalyste contre Sartre. Je décide donc de m’atteler à ce sujet. J’expliquerai aux profs que j’ai fait un transfert, on verra bien.

  • L’indécise en terminale L

Ah, la littérature. Ma véritable passion, en fait. Ma vocation, ma voie toute tracée que je n’ai pas vue, ces livres que je n’ai pas écrits. Je me vois bien, brillante étudiante en lettres modernes, lisant du Proust à longueur de journée ou dissertant sur du Beckett les cheveux au vent… C’est donc tout naturellement habillée en moi-même que je rejoins mes petits camarades, Amélie Nothomb et Beigbeder en herbe. La feuille tombe sur mon bureau :

1. La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée ? Ben oui, c’est ça la philo, nan ? Je suis convaincue. Mais alors niveau argumentaire, plus on est sûr de son truc, moins c’est facile d’expliquer pourquoi, bizarrement.

2. Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ? Alors celui-là, je l’adore. Parce que justement ça me fait penser à mon histoire avec mon ex (vous savez, le genre d’histoire qu’on n’arrive pas à finir). Là, j’ai de quoi pondre un argumentaire béton sur le « oui, dans un sens, il faut arrêter de retomber dans les bras de son ancien amour tous les quatre matins, c’est mieux », mais quand même « on n’est pas non plus obligé d’oublier qu’on a aimé, surtout quand on n’y arrive pas ». Là, je sens que je tiens mon sujet à mort.

Je jette quand même un coup d’œil au troisième, un commentaire d’un extrait de la Somme théologique, de Thomas d’Aquin. Ce qui achève de me convaincre : je vais pondre quatre pages sur mon ex.

Imaginé par l’Indécise karmique

4 Réponses to “Reportage : j’ai repassé le bac philo”

  1. Zazen 21 juin 2010 à 12:54 #

    L’indécise a t’elle essayé l’origami ….ou la fabrication des loukoums …..ou le grec ancien …parce que la philo ça a l’air de coincer !mais c’était drôle

  2. virginie 21 juin 2010 à 13:16 #

    cet article
    merci l’indécise karmique

  3. Lili 22 juin 2010 à 10:15 #

    Terrible. J’adore ! Merci pour cet article frais, léger, pétillant, intelligent… Comme je les aime !

  4. Manouche 24 juin 2010 à 12:03 #

    Vraiment agréable à lire, et TELLEMENT VRAI pour les sensations quand on a le sujet dans les mains. Ce dur moment de « mais bordel de merde, je n’ai rien à dire là-dessus moi, par contre, je pourrais bien disserter sur Steve Madden et la mode actuelle, mais bon! »
    En bref, ce blog, ça vaut le détour!

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